Sciences de la vie : une classe d’actifs qui devrait perdurer

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Sciences de la vie : une classe d’actifs qui devrait perdurer

L’intérêt croissant des promoteurs et des investisseurs immobiliers pour le segment des sciences de la vie fait de ce dernier une potentielle classe d’actifs à part entière, au même titre que les bureaux, les locaux logistiques, etc.  Pour savoir ce que ce segment représente pour le marché, nous avons réalisé une interview croisée avec Michel Leemhuis, CEO du promoteur néerlandais Kadans (assisté de Sandrine de Wouters, Senior Asset Manager) et Matt Lee, Head of Science & Technology chez Carter Jonas, un agent et conseiller immobilier basé au Royaume-Uni.

Un segment de « niche », tel que celui des sciences de la vie, peut-il réellement devenir une classe d’actifs au même titre que les bureaux et les logements ?

Michel Leemhuis : Oui, pour moi, il s’agit bien d’une classe d’actifs à part entière. Si nous étudions le profil de nos locataires, nous voyons un groupe très spécifique d’utilisateurs d’espaces. Ces organisations ont réellement besoin de biens particuliers, comme des salles blanches, des laboratoires et d’autres types d’installations de recherche. Ce segment est très différent des autres catégories de bureaux. Mais au début, nous avons dû travailler dur pour en convaincre les banques et d’autres acteurs. Je pense également que c’est un segment qui est appelé à se développer.

Matt Lee : De mon expérience en lien avec le parc scientifique de Manchester, je peux dire que les loyers des bâtiments du site conçus pour être des installations de recherche ont atteint des niveaux nettement supérieurs à ceux d’espaces de bureaux standard équivalents. Même si le terme « niche » signifie « attractif pour une petite population spécialisée », la reconnaissance globale du marché, y compris le soutien des pouvoirs publics, montre que si ce segment est effectivement spécialisé, il n’a plus rien d’anecdotique. Dans un contexte de pénurie de l’offre, l’existence d’une forte demande sur une période prolongée en fait un marché important. Le nombre de promoteurs – en particulier internationaux – à la recherche d’opportunités dans le secteur des sciences de la vie grimpe en flèche. Et ils ne sont pas toujours intéressés par d’autres segments. Je suis également d’accord avec Michel pour dire que c’est un segment qui devrait être pérenne.

Michel Leemhuis : J’ajouterais que le fossé entre l’offre et la demande ne se limite pas au Royaume-Uni. Il s’observe dans toute l’Europe continentale et il devrait se creuser encore davantage sous l’effet des changements démographiques (le vieillissement de la population, par exemple). Ce déficit de la demande va s’accentuer en Europe, car je pense que le marché continental a environ cinq ans de retard sur le Royaume-Uni.

Ce type de biens nécessite-t-il des compétences architecturales spécifiques ou d’autres connaissances spécialisées ?

Michel Leemhuis : Nous ne réalisons d’opérations de promotion que pour notre propre compte et nous savons à quelles attentes ces biens doivent répondre. Il faut parler le langage des sciences et avoir une connaissance approfondie des différents types de laboratoires et autres exigences. Il faut notamment tenir compte de l’exigence de hauteur de plafond à l’intérieur des bâtiments. Nous développons des copropriétés occupées par plusieurs locataires, ce qui entraîne une autre série d’impératifs. Nous encourageons toujours nos locataires à se rencontrer pour susciter la coopération et l’innovation en prévoyant, dès le départ, des zones de rencontre. Nous pensons que cette démarche contribue à la réussite de ces sites de type campus. Vous ne pouvez pas travailler sur ce segment sans rien connaître des exigences spécifiques qui s’y appliquent. Et c’est toute l’équipe (architectes, client, promoteur, etc.) qui doit posséder ces connaissances spécialisées.

Matt Lee : Mon expérience m’a appris (j’ai notamment travaillé pour un promoteur de locaux scientifiques et technologiques), qu’il est également important de concevoir des bâtiments à l’épreuve du temps, en les rendant suffisamment flexibles pour s’adapter à l’évolution des tendances du marché. Cela représente un véritable défi lorsque l’on parle de besoins très spécifiques au sein du bâtiment. Il faut également savoir à qui l’installation particulière que vous développez est destinée et vous assurer que vous répondez à ses exigences. L’alimentation en électricité est un autre élément clé à prendre en compte, surtout si vous transformez des locaux préalablement réservés à un autre usage, comme des bureaux. Une augmentation significative de la puissance est nécessaire. Si vous avez lancé une opération de promotion sans prendre conseil à ce sujet, cela peut entraîner des retards importants. La charge de plancher, le traitement de l’air, la réaction aux vibrations, l’accès pour les livraisons, tous ces éléments et bien d’autres doivent être pris en compte, sans parler du stockage des gaz et produits chimiques, des exigences en matière d’évacuation des eaux usées, etc. Tout cela peut rebuter un promoteur traditionnel, mais fait partie du quotidien des acteurs spécialisés dans les sciences de la vie !

Ce segment existe-t-il déjà en Belgique, et si oui, où ? Si ce n’est pas le cas, où pensez-vous qu’il pourrait émerger à l’avenir ? Et quelle pourrait être son ampleur ?

Sandrine de Wouters : Ce segment est déjà constitué en Belgique. Il est marqué par une demande énorme et très exigeante quant à la question de l’emplacement. Les entreprises souhaitent s’installer dans un écosystème adapté. En Belgique, l’offre et les investissements sont très en retard par rapport à cette demande. Et l’offre existante est fragmentée et encore immature, ce qui explique pourquoi, dans notre entreprise, nous devons travailler rapidement pour répondre aux exigences de nos clients. Nous recevons sans cesse des appels de gens qui se renseignent sur les locaux proches des universités, sur les parcs scientifiques, etc. Et la Belgique a un secteur pharmaceutique très dynamique, avec des entreprises telles que GSK, Janssen Pharmaceuticals, UCB, ce qui ajoute sans doute à l’attrait pour les sciences de la vie. Le pays possède également des universités très bien classées. Des pôles scientifiques sont implantés à proximité des universités réputées et le pourcentage du PIB dépensé dans ce domaine est relativement élevé par rapport au reste de l’Europe. Les avantages fiscaux, ainsi que le soutien à la R&D, sont également intéressants en Belgique.

Vous avez parlé d’universités et de pôles de recherche. Dans quelle mesure est-il important d’être proche de centres d’expertise de ce type ?

Matt Lee : La proximité des universités crée des opportunités de collaboration et d’accès aux talents. Ces communautés favorisent l’émergence de pôles d’excellence qui attirent à leur tour des entreprises, ce qui crée une demande supplémentaire. Ici, au Royaume-Uni, les grandes villes universitaires que sont Oxford, Cambridge, Londres et Manchester possèdent de très solides pôles de recherche, nés de la coopération avec les universités, les organismes de soin du NHS et des start-up. Lorsque l’on échange avec des clients internationaux potentiels en dehors du Royaume-Uni, il est très clair que la possibilité de collaborer avec des universités et des organisations telles que le NHS est un facteur important. L’accès aux talents recherchés est également essentiel, sans ces derniers, les entreprises ne peuvent pas se développer. Les universités constituent un vivier de talents. Par ailleurs, les entreprises des sciences de la vie collaborent aujourd’hui avec les universités pour proposer des modules complets ou partiels aux étudiants. Mais il est également vrai que des pôles peuvent se développer autour de grandes entreprises, comme Sandrine l’a mentionné.

Nous avons parlé des universités britanniques. Quelles sont les universités qui remplissent le même rôle en Belgique ?

 Michel Leemhuis : Entre autres, les universités de Louvain, Louvain-la-Neuve et Gand sont réputées pour la qualité de leurs recherches. Il y a donc des campus qui conduiront au développement de pôles spécialisés où les entreprises pourront se développer. Je pense que la situation européenne est identique à celle que Matt a décrite au Royaume-Uni – la proximité d’un « institut de la connaissance » (université, hôpital, etc.) est un élément clé. Nous avons récemment mené une enquête aux Pays-Bas qui a montré que 85 % de nos locataires collaboraient avec d’autres entreprises implantées sur le même site. La recherche mutuelle et le partage des connaissances ont lieu. Et lorsque les conditions sont réunies, les locataires ne déménagent pas.

Quelles sont les perspectives pour les centres de santé, les centres commerciaux adossés à un hôpital ?

Matt Lee : Au Royaume-Uni, elles semblent limitées pour les hôpitaux du NHS, mais des projets de ce type pourraient voir le jour adossés à des hôpitaux privés. Nous avons toutefois assisté au développement d’un campus d’innovation en sciences de la vie situé sur le site d’un hôpital de Manchester, ce qui est probablement ce qui se rapproche le plus de ce type d’équipement. Ce lieu fournit également des services aux patients et des espaces commerciaux pour les entreprises qui collaborent avec le pôle de soin du NHS.

Sandrine de Wouters : Je pense que le développement futur des sciences de la vie se fera dans les parcs scientifiques existants. Il reste des espaces constructibles dans ces zones et ces projets seront menés à bien avant la création de nouveaux sites. Un nouveau parc scientifique est en cours de développement autour d’un nouveau grand hôpital, à Liège, mais il s’agit d’installations de recherche et non d’espaces commerciaux, comme Matt l’a décrit.

Michel Leemhuis, pourriez-vous nous parler du financement du secteur des sciences de la vie en cette période difficile et du besoin d’agences spécialisées dans ce domaine ?

Michel Leemhuis : Nous parlons beaucoup de la question du financement avec notre actionnaire AXA. Ce secteur suscite encore beaucoup d’intérêt par rapport à d’autres classes d’actifs comme les bureaux ou le commerce de détail. Il devrait donc rester dynamique, d’autant plus qu’il a été résilient pendant la pandémie. Bien évidemment, les banques sont un peu plus frileuses en ce moment, ce qui pourrait être préoccupant, car il s’agit d’installations coûteuses.

En matière d’agences spécialisées, il est essentiel de faire appel à la bonne équipe, qu’il s’agisse d’une équipe interne ou externe, ayant une connaissance approfondie du domaine. Sur ce segment, on ne se contente pas de proposer un espace, on crée un environnement.

Et vous Matt Lee, quel regard portez-vous sur l’attractivité du marché britannique à la lumière de l’instabilité actuelle de la situation politique ? Et qu’en est-il de l’impact des prix élevés de l’énergie ?

Matt Lee : Ce sont des questions que tout le monde se pose. Le secteur suscite beaucoup d’intérêt et les investissements continuent d’affluer. Les utilisateurs peinent peut-être davantage à lever des capitaux en ce moment, mais l’année a bien commencé et les niveaux d’investissement des deux dernières années montrent que les entreprises sont résilientes.

S’agissant de la question énergétique, ce secteur est très consommateur d’énergie, notamment d’électricité. L’impact de la hausse des prix se fait donc proportionnellement plus ressentir dans le domaine des sciences de la vie. Mais personne ne peut dire combien de temps cette situation macro-économique va durer. Il est indéniable que devoir consacrer une large part du budget disponible au paiement des factures énergétiques est un frein à la croissance. Mais le secteur des sciences de la vie en général est très résilient et a drainé beaucoup d’investissements. En outre, le NHS est de plus en plus intéressé par des collaborations avec des entreprises privées dans le domaine de la recherche et par l’étude des technologies émergentes, ce qui crée une demande.

 

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